EDF – Prolongation des Réacteurs 1300 MWe
Quand le nucléaire joue les prolongations, ce n’est pas un retour en grâce improvisé, mais une stratégie nationale assumée : optimiser l’existant, repousser l’obsolescence, et offrir à la transition énergétique française une précieuse décennie supplémentaire. Raisonnable ? Ambitieux ? Typiquement hexagonal ? Sans doute un peu des trois.
🛠️ Grand Carénage : moderniser plutôt que reconstruire
Pourquoi couler du béton neuf quand on peut rebooster les centrales en place ? EDF consacre 6 milliards d’euros à la prolongation des 20 réacteurs de 1300 MWe, dans le cadre du vaste programme Grand Carénage (49,4 milliards d’ici 2028). Objectif : prouver que "ancien" ne rime pas forcément avec "dépassé". Surtout quand le coût de production s’affiche à 32 €/MWh selon l’OCDE — bien plus compétitif que la plupart des alternatives bas-carbone. Une logique d’efficience, soutenue jusqu’au sein des cercles les moins pronucléaires.
🔧 Sûreté : hisser les années 80 au standard EPR
La décision du 1er juillet 2025 de l’Autorité de Sûreté Nucléaire et de Radioprotection (ASNR) clôt la phase générique du quatrième réexamen périodique. Le cap est clair : aligner les standards de sûreté des 1300 MWe avec ceux des réacteurs de troisième génération (EPR). Pour des unités conçues dans les années 1980, cela représente un saut technologique considérable.
Les prescriptions de l’ASNR incluent notamment :
- 🔹 Installation ou renforcement de filtres d’éventage-filtration pour limiter les rejets d’iodes ;
- 🔹 Renforcement sismique et remplacement de tuyauteries critiques ;
- 🔹 Dispositifs de stabilisation du corium en cas de fusion du cœur ;
- 🔹 Nouvelles protections pour les circuits d’appoint en eau en situation d’urgence.
Ce programme mobilise EDF et l’IRSN (180 000 heures d’expertise sur 5 ans) avec un enjeu central : la surveillance du vieillissement, notamment des cuves. Résultat : pas de risque de rupture brutale identifié à ce stade, mais une vigilance renforcée exigée.
Les ONG environnementales, comme Greenpeace, restent critiques. Elles estiment que les prescriptions de l’ASNR sont insuffisantes pour atteindre un niveau EPR, dénoncent les délais d’installation parfois étendus à 4 ans après la visite décennale, et alertent sur le cas particulier de réacteurs frontaliers comme Cattenom. Le Luxembourg, par exemple, demande des filtres performants dès la prochaine échéance.
📆 Un feu vert conditionnel, tranche par tranche
Pas de blanc-seing. La prolongation ne sera effective que si chaque réacteur passe avec succès sa visite décennale individuelle (VD4), prévue entre 2026 et 2035. L’autorisation est donc encadrée : un programme de modernisation spécifique par réacteur, un respect strict des prescriptions, et une publication annuelle des progrès réalisés. En cas de manquement grave : arrêt possible. Un cadre rigoureux, sous l'œil du HCTISN et de la société civile.
🌐 Une tendance mondiale, pas une singularité française
La France n’est pas seule : les États-Unis visent 80 ans pour certains réacteurs, la Suisse ne fixe aucune limite d’âge, et l’AIEA valide cette orientation. Dans ce contexte, miser sur la prolongation plutôt que sur la reconstruction systématique s’inscrit dans un mouvement global d’optimisation industrielle.
🧭 Conclusion – Vieilles centrales, nouveaux standards 🔍
Ce programme de prolongation illustre un compromis technico-politique : extraire encore de la valeur de l’existant, sans renoncer à l’exigence. C’est un pari sur l’intelligence industrielle, la transparence réglementaire et la cohérence climatique. Parfait ? Non. Mais sans doute l’un des rares dossiers où le pragmatisme semble guider la main publique avec un certain bon sens.