Nucléaire : retour vers le turbin
Le nucléaire européen est de retour — à grand renfort de milliards, de PowerPoint et de promesses de réindustrialisation. Le nouveau Programme Indicatif Nucléaire Communautaire (PINC), publié en juin 2025 par la Commission européenne, annonce un plan titanesque : 241 milliards d’euros d’investissements d’ici 2050, 250 000 nouveaux emplois, et la relance d’une industrie en perte de vitesse depuis 30 ans. Mais derrière la renaissance affichée se cachent dépendances énergétiques, perte de compétences, retards chroniques et ambitions technologiques qui peinent à suivre la cadence chinoise. Pour relancer l’atome, il va falloir ressusciter un écosystème entier. Avec un peu de chance… et quelques retraités.
💰 241 milliards pour une hausse de 11 GW
L’objectif du PINC est clair : faire du nucléaire un pilier stratégique de la transition bas-carbone européenne. Il représente actuellement 24% de l’électricité produite dans l’UE, mais 32% de l’électricité bas carbone. La Commission prévoit donc :
- 205 milliards d’euros pour construire de nouveaux réacteurs
- 36 milliards d’euros pour prolonger les existants
- Une augmentation de capacité de 98 GW (2025) à 109 GW (2050) — soit à peine +11 GW en 25 ans
Ce que ça signifie ? Un investissement colossal pour une hausse modeste, mais considérée comme nécessaire pour stabiliser un mix dominé par les renouvelables. Sauf que chaque retard coûte cher : 5 ans de retard = +45 milliards d’euros, selon la Commission. 👉 Source
👷 Des ambitions sans main-d’œuvre
Le nucléaire européen emploie déjà plus de 1,1 million de personnes, mais il en faudra 250 000 de plus d’ici 2050. En France, 100 000 recrutements sont nécessaires dès 2033 pour le Grand Carénage et les EPR2. Or :
- La filière a perdu ses savoir-faire depuis les années 1990-2000
- 84 métiers clés ont été identifiés, dont 20 en tension critique
- Les écoles ne forment pas assez, les départs à la retraite s’accélèrent
- Des entreprises réembauchent des retraités pour combler les trous
Le programme MATCH du Gifen tire la sonnette d’alarme : sans plan massif de formation, même les EPR2 resteront sur planche à dessin. 👉 Source
🔗 La dépendance à l’uranium russe persiste
Au cœur du réacteur européen : la Russie. Malgré la guerre en Ukraine, Rosatom n’est pas sanctionnée. Elle reste :
- Fournisseur de 43% de l’uranium enrichi mondial
- Quasi-monopole sur les réacteurs russes de type VVER en Europe (Slovaquie, Finlande, Hongrie…)
- Partenaire indispensable pour la chaîne de valeur du combustible
L’UE tente de diversifier via REPowerEU, limite les nouveaux contrats russes, et soutient Framatome et Westinghouse. Mais l’indépendance sera longue à reconstruire. 👉 Source
🤝 Une alliance de 13 pays pro-nucléaires
Face aux blocages, la France a initié une Alliance nucléaire européenne, désormais composée de 13 pays (Belgique, France, Pologne, Suède, etc.). Objectif :
- Construire 30 à 45 nouveaux réacteurs d’ici 2050
- Déployer les premiers SMR (Small Modular Reactors) dès 2030
- Générer 92 milliards d’euros de PIB et 300 000 emplois directs et indirects
Mais il faudra aussi convaincre Bruxelles, aligner les normes, et financer les projets sans trop d’aides d’État… Mission pas si modulaire.
⚛️ Compétitivité : l’Asie en tête
Le constat est brutal : un EPR en Europe coûte 6000€/kW et met 12 ans à sortir de terre. En Chine, le même réacteur est livré en 6 ans à 2500€/kW. Pour ne pas finir comme Kodak face à l’IA, EDF propose l’EPR2, censé :
- Réduire les coûts de 50%
- Réduire le délai de construction à 70 mois (5,8 ans)
Encore faut-il tenir ces promesses — et recruter suffisamment d’ingénieurs pour les concevoir.
🧪 Déchets, fusion et image de marque
L’UE renforce aussi la sûreté : audits tous les 10 ans, normes post-Fukushima, et projets de stockage. En parallèle, la Commission soutient les innovations : la fusion nucléaire fait son retour médiatique via des startups comme Gauss Fusion (19 M€ d’aides allemandes). Mais on est encore loin de l’Airbus de la fusion promis par les communicants.
📉 Conclusion : atome, anatomie d’un come-back
Le nucléaire revient, mais sous tension. Entre ambitions industrielles, réalités humaines et dépendances stratégiques, l’atome européen avance comme un cycliste sous perfusion. Il faudra plus qu’une alliance, des annonces et des EPR « 2.0 » pour faire oublier 30 ans d’abandon industriel. En 2050, on saura si ce retour au turbin était un rebond… ou une rechute.