🐙 Octopus Energy : la pieuvre verte qui adore les marchés dérégulés

Elle s’est imposée comme une « révolution verte » dans un secteur poussiéreux. En moins de dix ans, Octopus Energy a raflé plus de 13 millions de clients dans le monde, redessiné le marché britannique de l’énergie et fait exploser sa valorisation. Son arme ? Kraken, un logiciel maison qui automatise tout et optimise à fond. Son image ? Une startup fun, verte, éthique. Son ambition ? Mondiale. Mais derrière le vernis d’innovation, la pieuvre a surtout appris à surfer sur les failles d’un marché dérégulé. En France, elle débarque masquée, mais déterminée.

💻 Kraken : pas un logiciel, une machine de guerre

Chez Octopus, tout commence avec Kraken, la plateforme développée en interne qui a transformé un métier de fournisseurs en une usine à algorithmes. Facturation dynamique, ajustement en temps réel des prix, automatisation des réponses clients : Kraken permet de réduire les coûts humains et d’absorber des millions d’utilisateurs sans embaucher une armée. Le PDG Greg Jackson compare son logiciel à AWS pour l’énergie. Et il ne plaisante pas : Kraken est désormais licencié à d'autres fournisseurs, comme E.ON ou EDF UK. Une technologie ouverte ? Pas vraiment. Car cette centralisation soulève une autre question : qui contrôle ce qui contrôle l’énergie ?

🇫🇷 En France, un rachat discret mais stratégique

En 2022, Octopus a mis la main sur Plüm Énergie, petit fournisseur indépendant français, connu pour son engagement éthique, ses factures transparentes et sa production locale. Un bel affichage. Mais très vite, le modèle Plüm a été absorbé : gestion basculée sous Kraken, culture d’entreprise remodelée, et promesses initiales doucement évaporées. En apparence, c’est encore “Plüm”, mais tout est piloté depuis Londres. Ce mouvement illustre un jeu d’échelle : sous couvert d’innovation, Octopus impose ses standards et avale les petits acteurs sous-régulés, sans provoquer de remous médiatiques. 👉 Les Échos

⚖️ Une success story très dépendante des politiques publiques

Octopus se présente comme un modèle d'agilité. Mais son ascension s’est appuyée sur des coups de pouce massifs. Lors de la crise énergétique de 2021-2022, quand des dizaines de petits fournisseurs britanniques ont fait faillite face à l’envolée des prix du gaz, Octopus a été l’un des rares à tenir. Non pas grâce à son seul modèle, mais avec le soutien du gouvernement britannique, qui lui a confié la reprise de Bulb Energy, ex-leader du marché tombé en faillite. Une opération étatique, qui s’est traduite par une injection de 1,7 milliard de livres d’argent public. 👉 BBC News

🌱 100 % verte ? Seulement sur le papier

Octopus clame fournir de l’électricité « 100 % verte », mais, comme beaucoup de ses concurrents, elle s’appuie principalement sur des certificats de garantie d’origine. Autrement dit, elle n’achète pas directement de l’énergie verte produite en temps réel, mais compense a posteriori en investissant dans des droits d’attribution. Une gymnastique comptable qui permet de cocher la case "green", sans bouleverser la réalité du mix électrique. Une enquête de Greenpeace UK montrait déjà en 2021 que ces pratiques créaient l’illusion d’un engagement écologique sans transformation structurelle. Bref : le marketing fonctionne, mais la planète attend toujours.

📉 Un modèle risqué, mais emballé comme une promesse

Octopus vend la transparence, la flexibilité, le numérique. Mais elle vend aussi une promesse fragile : celle d’une énergie bon marché dans un monde incertain. En misant sur des prix spot, des flux d’entrée-sortie de clients permanents, et une logique de conquête à tout prix, l’entreprise ressemble à une autre grande histoire : celle d’Uber. Croissance rapide, marges fines, position dominante. Sauf que dans l’énergie, une crise n’est jamais bien loin, et les promesses de stabilité à long terme reposent souvent sur... des aides publiques ou des arbitrages politiques.

🧨 Conclusion – Un cheval de Troie nommé Kraken

Octopus Energy incarne un paradoxe moderne : une startup technologique qui prétend réinventer l’énergie, mais dont les fondations reposent sur des mécanismes financiers et politiques classiques. Elle surfe sur la dérégulation, transforme la donnée en pouvoir, et conquiert les marchés un à un. Son arrivée en France n’est pas un détail. C’est le signe que le paysage énergétique européen s’uniformise, non pas autour des valeurs locales, mais autour des infrastructures logicielles et des logiques de plateformes. Si Octopus a une vision, ce n’est pas de sauver la planète. C’est de la manager — avec ses propres règles, son propre système. Et sa propre pieuvre.